Le Petit Chose Part 8

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Je lui criai: "Va-t'en!"

[48]

Bamban pensa que je plaisantais et continua de sourire.

Il se croyait tres beau, ce jour-la!

Je lui criai de nouveau: "Va-t'en! va-t'en!"

Il me regarda d'un air triste et soumis, son il suppliait; mais je fus inexorable, et la division s'ebranla, le laissant seul, immobile au milieu de la rue.

Je me croyais delivre de lui pour toute la journee, lorsqu'au sortir de la ville des rires et des chuchotements a mon arriere-garde me firent retourner la tete.

A quatre ou cinq pas derriere nous Bamban suivait la promenade gravement.

- Doublez le pas, dis-je aux deux premiers.

Les eleves comprirent qu'il s'agissait de faire une niche au bancal, et la division se mit a filer d'un train d'enfer.

De temps en temps on se retournait pour voir si Bamban pouvait suivre, et on riait de l'apercevoir la-bas, bien loin, gros comme le poing, trottant dans la poussiere de la route, au milieu des marchands de gateaux et de limonade.

Cet enrage-la arriva a la Prairie presque en meme temps que nous.

Seulement il etait pale de fatigue et tirait la jambe a faire pitie.

J'en eus le cur touche, et, un peu honteux de ma cruaute, je l'appelai pres de moi doucement.

Il avait une pet.i.te blouse fanee, a carreaux rouges, la blouse du pet.i.t Chose, au college de Lyon.

Je la reconnus tout de suite, cette blouse, et dans moi-meme je me disais: "Miserable, tu n'as pas honte? Mais c'est toi, c'est le pet.i.t Chose que tu t'amuses a martyriser ainsi." Et, plein de larmes interieures, je [49] me mis a aimer de tout mon cur ce pauvre desherite.

Bamban s'etait a.s.sis par terre a cause de ses jambes qui lui faisaient mal.

Je m'a.s.sis pres de lui. Je lui parlai.... Je lui achetai une orange....

A partir de ce jour Bamban devint mon ami. J'appris sur son compte des choses attendrissantes....

C'etait le fils d'un marechal-ferrant qui, entendant vanter partout les bienfaits de l'education, se saignait les quatre membres, le pauvre homme! pour envoyer son enfant demi-pensionnaire au college. Mais, Helas!

Bamban n'etait pas fait pour le college, et il n'y profitait guere.

Le jour de son arrivee, on lui avait donne un modele de batons en lui disant: "Fais des batons!" depuis un an Bamban faisait des batons.

Et quels batons, grand Dieu!...

Personne ne s'occupait de lui. Il ne faisait specialement partie d'aucune cla.s.se; en general, il entrait dans celle qu'il voyait ouverte.

Je le regardais quelquefois a l'etude, courbe en deux sur son papier, suant, soufflant, tirant la langue, tenant sa plume a pleines mains et appuyant de toutes ses forces, comme s'il eut voulu traverser la table....

A chaque baton il reprenait de l'encre, et a la fin de chaque ligne il rentrait sa langue et se reposait en se frottant les mains.

Bamban travaillait de meilleur cur maintenant que nous etions amis.

Quand il avait termine une page, il s'empressait de gravir ma chaire a quatre pattes et posait son chef-d'uvre devant moi, sans parler.

[50]

Je lui donnais une pet.i.te tape affectueuse en lui disant: "C'est tres bien!" C'etait hideux, mais je ne voulais pas le decourager.

De fait, peu a peu, les batons commencaient a marcher plus droit, la plume crachait moins, et il y avait moins d'encre sur les cahiers....

Je crois que je serais venu a bout de lui apprendre quelque chose; malheureus.e.m.e.nt la destinee nous separa. Le maitre des moyens quittait le college. Comme la fin de l'annee etait proche, le princ.i.p.al ne voulut pas prendre un nouveau maitre. On installa un rhetoricien a barbe dans la chaire des pet.i.ts, et c'est moi qui fus charge de l'etude des moyens.

Je considerai cela comme une catastrophe.

D'abord les moyens m'epouvantaient. Je les avais vus a l'uvre les jours de _Prairie_, et la pensee que j'allais vivre sans cesse avec eux me serrait le cur.

Puis il fallait quitter mes pet.i.ts, mes chers pet.i.ts que j'aimais tant....

Comment serait pour eux le rhetoricien a barbe?... Qu'allait devenir Bamban? J'etais reellement malheureux.

Et mes pet.i.ts aussi se desolaient de me voir partir. Le jour ou je leur fis ma derniere etude, il y eut un moment d'emotion quand la cloche sonna.... Ils voulurent tous m'embra.s.ser.... Quelques-uns meme, je vous a.s.sure, trouverent des choses charmantes a me dire.

Et Bamban?...

Bamban ne parla pas. Seulement, au moment ou je sortais, il s'approcha de moi, tout rouge, et me mit dans [51] la main, avec solennite, un superbe cahier de batons qu'il avait dessines a mon intention.

Pauvre Bamban!

VI

LE PION

Je pris donc possession de l'etude des moyens.

Je trouvai la une cinquantaine de mechants droles, montagnards joufflus de douze a quatorze ans, fils de metayers enrichis, que leurs parents envoyaient au college pour en faire de pet.i.ts bourgeois, a raison de cent vingt francs par trimestre.

Grossiers, insolents, orgueilleux, parlant entre eux un rude patois cevenol auquel je n'entendais rien, ils me harent tout de suite, sans me connaitre. J'etais pour eux l'ennemi, le Pion; et du jour ou je m'a.s.sis dans ma chaire, ce fut la guerre entre nous, une guerre acharnee, sans treve, de tous les instants.

Ah! les cruels enfants, comme ils me firent souffrir!...

C'est si terrible de vivre entoure de malveillance, d'avoir toujours peur, d'etre toujours sur le qui-vive, toujours mechant, toujours arme, c'est si terrible de punir,-on fait des injustices malgre soi,- si terrible de douter, de voir partout des pieges, de ne pas manger tranquille, de ne pas dormir en repos, de se dire toujours, meme aux minutes de treve: "Ah! mon Dieu!... Qu'est-ce qu'ils vont me faire maintenant?"

[52]

Non, vivrait-il cent ans, le pion Daniel Eyssette n'oubliera jamais tout ce qu'il souffrit au college de Sarlande, depuis le triste jour ou il entra dans l'etude des moyens.

Et pourtant j'avais gagne quelque chose a changer d'etude: maintenant je voyais les yeux noirs.

Deux fois par jour, aux heures de recreation, je les apercevais de loin travaillant derriere une fenetre du premier etage qui donnait sur la cour des moyens.... Ils etaient la, plus noirs, plus grands que jamais, penches du matin jusqu'au soir sur une couture interminable; car les yeux noirs cousaient, ils ne se la.s.saient pas de coudre. C'etait pour coudre, rien que pour coudre, que la vieille fee aux lunettes les avait pris aux enfants trouves,-les yeux noirs ne connaissaient ni leur pere ni leur mere,-et, d'un bout a l'autre de l'annee, ils cousaient, cousaient sans relache, sous le regard implacable de l'horrible fee aux lunettes, filant sa quenouille a cote d'eux.

Il y avait encore l'abbe Germane que j'aimais bien....

Cet abbe Germane etait le professeur de philosophie. Il pa.s.sait pour un original, et dans le college tout le monde le craignait, meme le princ.i.p.al, meme M. Viot. Il parlait peu, d'une voix breve et ca.s.sante, nous tutoyait tous, marchait a grands pas, la tete en arriere, la soutane relevee, faisant sonner,-comme un dragon,-les talons de ses souliers a boucles. Il etait grand et fort. Longtemps je l'avais cru tres beau; mais un jour, en le regardant de plus pres, je m'apercus que cette n.o.ble face de lion avait ete horriblement defiguree par la [53] pet.i.te verole. Pas un coin du visage qui ne fut hache, sabre, couture, un Mirabeau en soutane.

Le Petit Chose Part 8

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Le Petit Chose Part 8 summary

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